Propriétés Le Figaro

Reportage

Les domaines viticoles ont la cote

Les domaines viticoles ont la cote

Dans les monts du Beaujolais, une propriété du XIXe siècle perchée sur sa colline avec 7 hectares de vignes en coteaux et des dépendances

Les parcelles de grands crus ne s’échangent qu’au compte gouttes. En revanche, l’offre de propriétés d’agrément entourées de vignobles est généreuse. La cuvée 2011 de l’immobilier viticole se décline sous le signe du choix.

Près de 9000 transactions ont porté sur du foncier viticole l’an dernier. En progression quoique “ralentie”, d’après les actes notifiés aux Safer (Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural) : les vignes de qualité, tournant autour de 95 000 euros/l’hectare, valeur haussière en moyenne de 2,3 %, pratiquement comme en 2009. A l’inverse, les vignes courantes ne font pas de miracle, toujours aux alentours de 10 000 euros/l’hectare, le niveau le plus bas depuis 1998. A l’image de la pierre en général, la qualité résiste, refuge au long cours, semble-t-il, face au chahut de la Bourse et de l’euro.

BORDEAUX : DE BELLES PIERRES

“Sur les 10 000 étiquettes bordelaises, seulement 200 tirent leur épingle du jeu”, prévient Thierry Rustmann, agent immobilier à Pomerol et, ce qui ne gâte rien, propriétaire de Château Beau Soleil. “C’est un monde à deux vitesses, où l’hectare de grands crus classés s’envole jusqu’à 3 millions d’euros”, soutient-t-il. Après les remarquables millésimes 2008 et 2009, les valeurs s’envolent. Le groupe Castel vient ainsi de mettre la main au début de l’année sur Château Beychevelle, grand cru classé Saint-Julien, contre la somme à couper le souffle, mais pas la soif, de 200 millions d’euros. A côté de ces grosses mécaniques à faire couler les euros, de ravissants petits domaines valent de 1,5 à 2 millions et sont assez nombreux à chercher un amateur de bien ludique avec vignes, chai et parc. “Ce sont des chartreuses du XVIIIe siècle en pierres blondes de la région, poursuit l’agent immobilier. Malheureusement, leur appellation est moins flatteuse que Margaux ou Saint-Emilion. Il s’agit souvent d’entre-deux-mers”. Autre spécialité régionale : le château du XIXe siècle avec tours en ardoise et perron, “des folies de l’époque où la bourgeoisie bordelaise voulait ancrer son prestige”. Commercialement sous-développées, donc peu rentables, certaines propriétés sont souvent reprises par des notables de la grande distribution ou de l’agro-alimentaire, lesquels ont déjà sous la main le circuit de distribution adéquat pour écouler leur production.

LES FIEFS DU RHÔNE : UN MARCHÉ HÉTÉROCLITE

Inter-Rhône, le comité interprofessionnel des vins de la Vallée du Rhône, table sur une récolte “prometteuse” après plusieurs années de baisse. Le deuxième vignoble d’AOC en superficie produit un vin “consommé dans 155 pays”, rappelle le comité. D’après l’agence Lord & Sons, le Châteauneuf-du-Pape cote entre 350 000 et 420 000 euros/l’hectare, le Gigondas de 150 000 à 200 000 euros, les Vacqueyras et Rasteau de 80 000 à 100 000 euros… Les secteurs prisés demeurent le Sud Ventoux, le Luberon, les Alpilles, et surtout les Dentelles de Montmirail, autour de Gigondas, où se concentre le maximum de crus. Les jeunes viticulteurs sont avides de parcellaire, l’outil de travail. Pour 1,8 million, l’un d’eux s’est dernièrement offert un mas à Cairanne comportant 24 hectares sous appellation Rasteau. Les aînés jettent plutôt leur dévolu sur le caveau et la coquette bastide, la demeure de prédilection de la bourgeoise d’autrefois convenant à une activité de chambres d’hôtes. Le Vaucluse, peu dévoyé par le tumulte des villes, draine 3,5 millions de touristes par an. Ce n’est pas rien pour promouvoir la vente à la propriété et dans les restaurants locaux.

LE BEAUJOLAIS : EN CONSOLIDATION

L’ouvrée, la fameuse unité de mesure bourguignonne de 428 m2, monte sans aucune pudeur jusqu’à 500 à 800 000 euros. Les grandes fortunes de ce monde en rêvent, particulièrement les Américains. Quasiment toutes les fermes vigneronnes ont déjà leurs exploitants, et les nouveaux vinificateurs locaux orchestrent des montages complexes avec des investisseurs pour éviter de passer leur vie à financer du parcellaire, aussi glorieux soit-il. Ces opérations sont hautement confidentielles. Administrativement parlant, le Beaujolais relève du vignoble bourguignon depuis 1930, mais avec un profil tout autre. C’est un marché tendance, sur lequel les propriétés s’échangent facilement depuis une dizaine d’années. “Les valeurs, de 1 à 3 millions, restent largement compétitives par rapport au Sud de la France”, justifie Sébastien Jacquemont, de l’agence Vinea Transaction Bourgogne- Beaujolais. Au XIXe siècle, le boom des soyeux lyonnais a donné naissance à de cossus domaines qui tiennent maintenant lieu de résidences secondaires pour gentlemen de la vigne. On a vu récemment un entrepreneur au nez subtil de vigneron acquérir le château de Briante pour sa fille oenologue.

CÔTE D’AZUR : LE ROSÉ EN MAJESTÉ

Alors que la consommation de vin rouge diminue à petits pas dans l’Hexagone, le rosé se porte comme un charme et progresse régulièrement. Entre 1990 et 2010, la part de marché de ce seigneur de Provence est passée de 10,8 % à 25 %. Le vignoble s’étend de la Méditerranée aux Alpes en remontant jusque sur les hauteurs de Nice autour de trois appellations majeures : côtes-de-provence, coteaux d’Aix et coteaux varois. “C’est un marché émergent, en croissance en France et potentiellement international, car la légèreté du rosé accompagne la gastronomie actuelle et les mets exotiques. Les vignerons provençaux arrivent désormais à produire un vin de qualité capable de conquérir ces nouveaux marchés”, observe Thibaud Desprets, dont l’agence officie sur la presqu’île de Saint-Tropez. Selon ses estimations, les domaines du littoral, entre Hyères et Saint-Tropez, se négocient à plus de 10 millions d’euros. De bouche à oreille, discrètement, entre connaisseurs. L’arrière-pays, quant à lui, cote au minimum 3 à 4 millions. Les incertitudes économiques pesant, les tractations se durcissent : “Voilà trois mois que nous négocions des conditions de vente avec un client”, déplore Dominique Varé de l’agence Pierre Azur. “Un bien à 4,5 millions peut trouver son juste niveau à 2 millions”, constate-t-il. Près de la Côte, les acquéreurs internationaux s’invitent. Des Sud- Américains. Des Chinois, bien que fidèles par tradition au Bordelais. En Chine, le mot “Laffitte” reste féérique. Les Russes, friands de longue date des villas Belle Epoque des caps, commencent à s’intéresser à l’arrière-pays de leur Côte d’Azur chérie. Dans le Centre-Var, les Français constituent la bonne partie de la clientèle : ce sont souvent des capitaines d’industrie presque au terme de leur carrière. Outre la faculté d’élaborer leur vin, ils savourent la beauté des sites, la proximité de la Méditerranée et le soleil qui cogne 300 jours par an. Dans le mot “divin”, il y a “vin”. Ce n’est pas pur hasard.

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