Propriétés Le Figaro

Édito

Un terroir incomparable

Un terroir incomparable

Bernard Magrez

Durant ces trente dernières années, j’ai eu l’occasion de faire l’acquisition de six châteaux, souvent classés, chacun d’eux s’inscrivant dans un grand vignoble classé de notre région bordelaise. Le bon sens économique aurait voulu que je m’intéresse avant tout à la qualité du terroir, l’état des vignes et les équipements viticoles de chacun. Il se fait que ce qui a prévalu très souvent, trop souvent peut-être, c’était le château au milieu des vignes. Qui peut ne pas être sensible au château La Tour Carnet, grand cru classé du Médoc ? Sa tour édifiée en 1112, tout le bâtiment entouré de larges douves alimentées depuis des siècles par une jalle qui renouvelle son eau, son pont-levis, ses cyprès de différentes variétés, cette douceur environnante et ses deux étages avec ses immenses cheminées et ses chambres agencées dans le style médiéval. Pour couronner le tout, le château a été construit et agrandi par le comte Jean de Foix au XIIIe siècle et il est devenu plus tard la propriété de notre grand Michel de Montaigne. Si le rêve se situe dans la profondeur et l’élégance de son vin, il me semble que le château en lui-même y est pour quelque chose. C’est tout au moins aussi irrationnel que peut l’être mon sentiment personnel. Ensuite, il y a le château Pape Clément, grand cru classé de Graves. Sa première vendange date de 1252. Il a été la propriété du pape Clément V de 1309 à 1314, après avoir appartenu à sa famille pendant près d’un siècle. Le terroir est considéré comme incomparable, autant d’ailleurs que ses caves sous le château où vieillissent les trésors du vignoble. Clément V et le roi Philippe le Bel se sont mis à deux pour tenter d’exterminer l’ordre du Temple. Je n’y souscris pas, bien sûr, ce ne sont pas mes héros, mais il n’en reste pas moins que cela a marqué l’Histoire. Au-delà, à Saint-Émilion, j’ai acquis en 1999 le château Fombrauge, cru classé, avec sa chartreuse tout à fait bordelaise, construite au XVe siècle, et sa luminosité remarquable lors des derniers soleils d’automne. On ressent la présence de la famille de Canolle qui en était propriétaire en 1466 et qui, très royaliste, n’a pas survécu aux massacres de la Révolution. Ma vie de tous les jours s’inscrit dans ces très belles histoires qui ont traversé les siècles. On peut aimer leurs grands vins mais souvent, je l’avoue, leur passé m’émeut autant.