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Édito

La maison de mes rêves, Rédacteur en chef au Figaro Magazine

La maison de mes rêves

Au collège, j’étais un élève introverti et solitaire. Ma timidité dissuadait quiconque de devenir mon ami. Et encore moins ma petite amie. Pour sortir de mon isolement, je décidai de m’inventer une maison merveilleuse. Ainsi, croyais-je, trouverait-on un intérêt à me fréquenter. Un vendredi soir, dans le car scolaire qui nous reconduit dans nos pavillons de la banlieue ouest de Paris, la fille assise à côté de moi, une blonde aux yeux verts pour qui mon cœur battait secrètement la chamade, me demande ce que j’ai prévu pour le week-end. Derrière sa question ne se dissimule aucune invitation, hélas. D’un air mystérieux je réponds : - Retrouver ma maison en Espagne. Cette confession attise la curiosité de Cécile - c’est son prénom. - Tu es Espagnol ? Tu viens d’où en Espagne ? Un peu pris au dépourvu, je m’invente des ancêtres catalans et lui décrit une grande maison de pêcheurs aux murs blancs surplombant la Méditerranée. Ma présentation est si minimaliste que, lorsque nous nous quittons à l’arrêt de bus, je la sens désireuse d’en savoir plus. Et donc de mieux me connaître. J’ai produit mon effet. Reste à donner corps à ce mensonge. Autrement dit : à la construire, cette maison.

Afin de me rapprocher toujours plus de Cécile. Le soir même, je me transforme donc en bâtisseur imaginaire. Au fil des semaines, j’acquis une représentation si précise de ma maison que je finis par croire qu’elle existait réellement. Nichée au fond d’une crique, on y accédait seulement par un sentier côtier. En forme de Y, elle s’organisait autour d’un patio ombragé où j’avais “construit” une piscine. L’intérieur de la bâtisse était constitué d’un labyrinthe de pièces minuscules à la décoration mi-orientale, mi-africaine. Cécile se montrait fascinée par la manière dont j’en parlais, la vie que je disais y mener. “C’est comme dans un roman”, répétait-elle. Je la croyais amoureuse. Le moment était venu de lui déclarer ma passion. La veille des vacances de Pâques, je glissai dans son agenda une carte postale légèrement jaunie dégotée dans une brocante. Celle-ci représentait une maison de Cadaqués identique à celle que j’avais imaginée. Au dos, sous la mention “Cap Creus, Cadaqués”, j’avais écrit un mot à son intention : “J’aimerais tant qu’un jour tu m’accompagnes dans cette maison.” La réaction de Cécile ne fut pas du tout celle que j’espérais. Le jour de la rentrée, elle fonça droit sur moi en brandissant une carte postale identique à la mienne. Sauf qu’au dos, il était indiqué : “Maison de Salvador Dali.”

S. Le Fol

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