Propriétés Le Figaro

Portrait

Révélatrice d'espaces, Odile Decq

Révélatrice d'espaces

Odile Decq développe une pratique artistique qui n'hésite pas à interroger la perception de l'espace

Désignée “créateur de l’année” au salon Maison et Objet, Odile Decq est une architecte atypique dont les réalisations s’exposent à Paris. Du design d’objets à la scénarisation de musées internationaux, cette passionnée conçoit aussi des maisons de verre pour des particuliers.

Dans l’espace qui lui a été dédié au salon Maison & Objet, Odile Decq a déroulé l’idée de parcours qui lui est chère, pour attiser la curiosité du visiteur et l’inviter à découvrir son univers. Mobilier, luminaires qui portent sa griffe, mais aussi un service de table développé avec Alessi y sont présentés. Parallèlement, jusqu’à la fin septembre, la galerie Polaris de Paris propose “Force en présence”. Pour cette troisième exposition dans ce lieu, la créatrice change d’échelle et se concentre sur le corps et sa relation à l’espace. Un fil conducteur qui balance des préoccupations de l’architecte à celles de l’artiste. “Dans le travail de l’architecte, il y a une composante artistique. Mais c’est un concours de circonstances qui a fait que je suis passée à l’acte. La galerie Polaris, que j’ai rénovée en 2007, m’a demandé d’être la première à installer. Et plutôt que d’exposer de l’architecture, ce qui n’avait pas de sens dans une galerie d’art contemporain, je suis revenue à l’essence de mon travail, aux concepts premiers. J’ai retrouvé un croquis que l’on a travaillé en sculpture.” Depuis, l’idée a fait son chemin. Odile Decq ouvre son agence d’architecture juste après avoir été diplômée de La Villette en 1978 et de Sciences PO Paris en urbanisme, en 1979. La reconnaissance internationale arrive, en 1990, avec sa première grande commande, la Banque Populaire de l’Ouest à Rennes. “La reconnaissance ne vient pas tout de suite. Il a fallu du temps aussi pour que les gens admettent, qu’effectivement, il y avait des femmes architectes qui pouvaient faire des choses de taille et de grande puissance.” En 1996, le travail innovant de l’agence est couronné par le Lion d’Or à la sixième Mostra de Venise. “Aujourd’hui, l’intervention d’un architecte n’est pas limitée à son territoire de naissance, sa région ou son pays. La notion de pays, en ce qui concerne la pratique architecturale n’existe pas. De plus, l’évolution de l’économie fait que le monde change, le déplacement des endroits où l’on peut construire a bougé. Nous allons construire en Chine, en Asie du Sud-Est, en Amérique du Nord ou du Sud, dans des pays européens ou en Afrique, mais pas nécessairement, ni uniquement, en France.” Et celle qui s’est frottée à plus d’un projet public d’envergure – en cours, un musée d’Anthropologie et d’Archéologie en Chine, qui doit ouvrir en 2014 – se consacre volontiers, depuis peu, à des chantiers privés dans l’Hexagone. “En Bretagne, par exemple, nous réalisons trois maisons en verre de 175 m2 chacune, pour des particuliers anglais. Ils m’ont demandé de construire sur le même terrain ces maisons qui ont exactement la même surface pour trois familles différentes, l’une avec deux enfants, un couple de personnes âgées et une personne seule. Ce n’est que du verre… tout en translucidité. Je pense que le verre est la matière du XXIe siècle.” Un projet qui devrait être terminé début 2014.

Prendre des risques quoi qu’il arrive

Le concours gagné pour la rénovation du hall de conférences de l’Unesco à Paris en 2000, lui permet de réaliser ses premiers objets de design avec la complicité de Domeau & Pérès. “Au début, j’étais un peu intimidée à l’idée de faire du mobilier, parce que c’est une autre échelle. Ce rapport totalement différent au corps m’intimidait.” Pourtant, en 2010, elle crée, avec la marque italienne Poltrona Frau, pour le musée d’Art contemporain de Rome (le MACRO), les fauteuils de l’auditorium, les tables et les chaises du café, avec Luceplan, les lampes et des poignées de portes avec Valli & Valli. En 2011, elle collabore de nouveau avec Poltrona Frau pour les fauteuils du restaurant de l’Opéra Garnier, et cette année, elle retrouve, une fois encore, Luceplan pour produire la lampe Pétale créée pour le siège de GL Events, à Lyon Confluence. “Parce que je suis architecte, ce qui m’importe côté design, c’est que cela fonctionne, mais aussi que ce soit beau et agréable.” Chaque projet est vécu comme une sorte d’aventure. L’idée du départ se transforme au fur et à mesure. “C’est un processus de création, je ne me répète pas mais il y a des idées qui reviennent, développées différemment. Et quand je dis des idées, ce ne sont pas des formes, mais des façons d’aborder un sujet.” Le champ de ses possibles reste vaste : “Je n’ai encore fait ni gare, ni port, ni tour, ni théâtre, ni opéra… Au travers de l’architecture, on permet aux humains de vivre, et de bien vivre, d’avoir le plaisir d’être. Au travers de l’art, on peut s’exprimer de façon politique. Bien sûr, on peut être purement artistique et abstrait en travaillant simplement sur la forme. Mais ça n’est pas mon propos, j’aime bien quand l’art parle de quelque chose d’autre.” Odile Decq n’hésite pas à le prouver.

© Markus Deutschmann

Galerie Polaris. 15, rue des Arquebusiers, 75003 Paris. Tél. : 01 42 72 21 27.