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Édito

"Elle" par Michel Schifres, directeur de la rédaction du Figaro Magazine

"Elle" par Michel Schifres

Michel Schiffres - Photo D.R.

Elle savait que je reviendrais. Je ne partais jamais bien longtemps. Nous nous étions habitués à ces ruptures. Pendant des années nous en avions souffert et puis nous nous sommes accoutumés à ces déchirements. Pour rien au monde elle n'aurait quitté la campagne. Pourtant l'hiver, elle s'engourdissait, vaincue par le froid, la pluie et le vent. Elle se réchauffait grâce au feu qui brûlait dans la cheminée mais au fond elle s'étiolait. Elle ne se réveillait que vers Noël lorsque, blottie autour du sapin, sa seule présence apportait de la joie à ceux qui la découvraient et du réconfort à ceux qui la connaissaient.

Notre couple ne battait pas de l'aile. Il aurait été excessif d'arriver à cette conclusion. Juste nos tête-à-tête qui étaient moins intenses qu'en d'autres saisons et nos retrouvailles moins spontanées. Il m'arrivait de la détester de se laisser ainsi aller, elle que je connaissais si gaie, si ouverte, si chaleureuse. J'avais déjà eu cette impression avec d'autres femmmes quand la passion cède le pas à une certaine routine. Nous nous étions quittés. Il n'en était pas question avec elle. Ensemble, nous passions de trop bons moments. Il me suffisait de la regarder pour sentir le désir m'envahir et de la retrouver pour être heureux. Il fallait faire avec ces instants plus difficiles.

C'était de ma faute aussi. Elle n'était pas quelqu'un qu'on pouvait laisser seul. Il lui fallait du monde pour rayonner et de la famille pour exister. Elle avait besoin des autres comme j'avais besoin d'elle. Seulement il m'arrivait de rechigner à faire la route pour la rejoindre. Egoïste, je restais en ville. Elle ne me reprochait pas vraiment mes absences. Mais elle faisait la gueule incontestablement. Nos printemps restaient éblouissants. Et nous y voici. La nature contribue à l'émerveillement. Elle n'explose pas encore mais cette multitude de verts si différents, tous de nuance fragile et tendre, ces bourgeons qui s'ouvrent, ces soleils qui percent, ces oiseaux qui chantent, ces bêtes qui réapparaissent comme le hérisson, cette herbe qui s'étale, cette vie qui repart, témoignent de l'exubérance et de la joyeuseté de la saison.

Pour nous deux, pour notre couple – ma maison et moi –, tout repart aussi. Je la retrouve telle que je l'aime, solide et belle. Et elle sait que je vais m'occuper d'elle. Il faudra l'aérer, lui redonner peut-être quelques couleurs, la vider des plantes et des meubles de jardin entreposés pendant le froid. Nous aurons aussi de lourdes décisions à prendre. Comme de déterminer si nous cédons à la mode du moment, la plantation de petits oliviers qui s'acclimatent maintenant dans la quasi totalité de la France. Ou de trancher de la meilleure place où mettre le coffre déniché dans une brocante. Je sais déjà que, contrairement aux apparences, elle aura le dernier mot.

Il faut être bien naïf pour croire qu'une maison n'est qu'un bâtiment. Chacune est unique. Et nous l'aimons pour son exception. Quitte à en être l'esclave heureux et consentant. Elle, c'est elle.

« Elle »