Propriétés Le Figaro

Portrait

Gilles & Boissier, architectes d’intérieur, Nouvelles stars de la déco

Dorothée Boissier et Patrick Gilles. DR

De Milan à New York, hôtels et appartements, boutiques et restaurants ou encore yacht dernier cri, portent la marque de ce couple talentueux. Une “french touch” pile dans l’air du temps.

Elle, c’est Dorothée Boissier, major de sa promotion à Penninghen-Esag, l’École supérieure des arts graphiques de Paris, dont elle sort diplômée en architecture intérieure. Pendant trois ans, elle sera chef de projet chez Christian Liaigre, avant de rejoindre l’agence de Philippe Starck en tant que chef d’équipe et d’être associée à Starck Network. Lui, c’est Patrick Gilles, diplômé de Camondo en architecture intérieure et design de produits. Il travaille aussi sept ans aux côtés de Christian Liaigre, dont il sera le chef d’agence, après India Madhavi. C’est là qu’ils se rencontrent et, quelques années plus tard, décident d’unir leurs talents, pour fonder une famille et leur propre agence. En janvier 2004, ils inaugurent Gilles & Boissier, dont ils assurent “la direction artistique en architecture, décoration, mobilier, graphisme”. On ne peut rêver meilleurs modèles que Liaigre et Starck. Avec le premier, ils travaillent sur le Buddakan, à New York ; avec le second, ils revisitent le palais de cristal Baccarat, à Moscou. C’est près de Philippe Starck, “un génie”, qu’ils ont installé leurs bureaux parisiens à la République, entourés de trois architectes, quatre architectes d’intérieur et un administratif. Qu’ils soient souvent en voyage n’étonnera personne, compte tenu de leurs projets en cours. L’aménagement d’un hôtel particulier de 1 200 m2 à Paris, les hôtels W, à Shanghai, La Mourra, à Val d’Isère et Riande, à Miami. Par tradition et par culture, Gilles & Boissier se veulent détachés des phénomènes de mode, avec comme “vraie référence” la maison Hermès. Ils lient des événements modernes à des bases rigoureuses, travaillent “les espaces classiques sans fioritures”. Pour chaque projet, ils dessinent des meubles exclusifs et se concentrent sur les matières. En fonction du client, ils parient sur des “interventions plus tendues, à la limite du minimalisme” et apprécient les “belles expériences” qui se transforment parfois en “histoire d’amitié” comme avec Remo Ruffini, propriétaire de la marque de vêtements Moncler, dont ils ont aménagé les appartements privés. À leur actif toujours, le mobilier d’un yacht Class J, l’appartement du créateur de la boutique Joseph à Londres et l’hôtel Shanghai Lan, à Shanghai.

C’est dans leurs bureaux parisiens que nous avons rencontré le couple d’architectes.

Comment définiriez-vous votre style ?

Dorothée Boissier et Patrick Gilles : Très caméléon, du minimalisme au baroque ultracontrôlé, un mix d’époques et de styles.

Comment vous partagez-vous les rôles ?

Nous travaillons ensemble à la conception des projets, puis nous les développons en parallèle. Le rôle de chacun évolue en fonction du travail, du client et de nos affinités respectives avec lui. Ce qui motive nos choix, c’est d’abord la fonction, puis l’impact visuel.

Comment intervenez-vous chez des particuliers ?

Il faut commencer par comprendre le propriétaire, lui proposer une fonctionnalité parfaite de son espace, déterminer un style qui lui correspond et laisser libre cours à son expression. Notre rôle est d’apporter une solution, de faire juste ou de ne pas faire du tout.

Pourquoi travaillez-vous essentiellement sur des projets à l'étranger ?

Peut-être par hasard, mais aussi parce que nous aimons beaucoup voyager et rencontrer d’autres cultures, pour nous ouvrir et nous enrichir.

Quelles sont vos priorités au moment où vous abordez un projet ?

Le brief du client et, surtout, son envie de travailler avec nous, et de partager une telle aventure. La bonne définition de ses attentes, et, bien sûr, le rêve : on ferme les yeux pour imaginer un nouveau spectacle. La notion de maison est aussi importante. Et puis, il reste essentiel de se montrer réaliste par rapport aux coûts. Il faut évidemment garder les pieds sur terre. Et bien comprendre que la décoration est toujours la dernière phase technique d’une intervention sur un chantier. Le simple fait de rénover, par exemple, implique déjà un budget lourd, hors intervention artistique et hors mobilier. Nous veillons donc à prendre en compte d’emblée ces réalités financières.

Quelle est votre qualité essentielle ?

Être deux. Nous sommes comme des coureurs de fond, car notre métier nécessite une certaine endurance. Le plus important, ce n’est pas forcément d’arriver le premier, mais d’arriver au bout. Et c’est toujours le plus tenace qui gagne. Notre étape préférée, c’est les préliminaires, c'est-à-dire les premières idées qui nous viennent dans le cadre d’un projet.

Quelle est votre conception d’un lieu de vie ?

Notre lieu de vie à nous, très dénudé, mais aussi très confortable. L’endroit où l’on vit, la sphère privée doivent garder un caractère intime ; tandis que dans un lieu public, la notion de spectacle est intéressante à développer. On va au restaurant pour s’évader, et cela change tout par rapport au décor.

Quelles sont vos matières préférées ?

Le bois brossé dans des teintes surprenantes, le métal patiné, le plâtre, le cuir peint, repoussé ou lisse, les velours frappés, mais également des matières brutes et essentielles telles que le coton, le lin et le velours. Nous aimons jouer avec les matières, toujours dans un esprit de distorsion et de décalage.

Y a-t-il un domaine de création que vous n’avez pas encore exploré et sur lequel vous aimeriez travailler ? Tout ce qui a trait au jardin, peut-être. Mais pour l’instant, il s’agit surtout de prendre le temps...

L’art est souvent en très bonne place dans vos installations. Est-ce le point de départ ou le point final de vos créations ?

Point de départ de toutes nos réflexions, l'art est une inspiration majeure, et les artistes sont “des capteurs hors norme”. Mais l’art ne trouve pas sa place partout… cela dépend du projet et du client.

Le succès a-t-il bouleversé votre organisation ?

Pas pour l’instant. Comme nous travaillons en étroite collaboration avec notre équipe sur chaque projet, nous avons encore le temps de prendre le temps...

Qu’est ce qui n’est pas négociable lorsqu’on travaille avec vous ?

La passion et la franchise. Pensez-vous éditer un jour le mobilier que vous dessinez ? Certainement, mais en réalité, c’est surtout le temps qui nous manque… et puis, nous attendons encore la rencontre providentielle dans ce domaine !

Quels sont vos derniers coups de cœur ?

Un livre : “Et Nietzsche a pleuré”, de Irvin Yalom (éditions Galaade), l’histoire d’une rencontre fictive entre le philosophe allemand et le docteur Breuer, l’ancêtre de la psychanalyse. Un moment : un dîner avec nos amis chez Ferdi, rue du Mont Thabor (Paris 1er). Une femme : Victoire de Castellane – un phénomène –, et sa nouvelle collection de bijoux pour Dior. Une photo : “Véronique” de John Stewart (Galerie Acte 2). Un regard : celui de notre fils, Félix.

Si vous deviez déménager demain, vous changeriez quoi ?

Nous rajouterions la mer.

« Nous aimons jouer avec les matières, toujours dans un esprit de distorsion et de décalage. »