Propriétés Le Figaro

Portrait

Elliott Barnes, Virtuose des harmonies

Elliott Barnes

Elliott Barnes dans son agence, mobilier réalisé sur mesure et pièce de collection s'y côtoient

Cet architecte américain a adopté Paris pour créer son agence. Mais l’élégance fluide et naturelle de ses réalisations séduit dans le monde entier.

Que l’architecte soit aussi un authentique musicien n’étonnera pas: Elliott Barnes maîtrise ses partitions et trouve toujours la note juste pour rythmer les espaces. Ce qui l’intéresse avant tout ce sont “les moments” et dans l’histoire qu’il raconte, les lieux soutiennent ces moments “qui ne tiennent à rien, à un détail” mais qui créent l’atmosphère. Parfois, cela peut dépendre d’une matière “venant de nulle part, jetée là comme un accord de Thelonious Monk”. Récemment, il a sorti de ses tiroirs un échantillon de texture fabriqué il y a près de douze ans qui lui avait été inspiré par une feuille d’algue dans un restaurant japonais. Exactement le dessin dont il avait besoin pour un chantier en cours. Pour le show room d’accueil de Ruinart, à Reims, il s’inspire des lignes de la vigne pour illustrer sa mise en scène et pousse encore plus loin la recherche jusqu’à faire confectionner un “wine paper”. Ce papier peint fabriqué sur mesure à partir de chanvre et des peaux sèches de raisins habille les murs. “Ce wine paper parle du métier de Ruinart. On suit les vendanges et la nature.” Ce qu’il a trouvé sur place -liège, bois, craies ou verrelui a aussi soufflé le reste du décor. Le sol en granito, par exemple, a été réalisé avec des bouteilles concassées de Dom Ruinart. Un assemblage teinté de mémoire et d’émotion. On ne sera donc pas étonné qu’il se voit un peu comme le “bricoleur” auquel Claude Lévi- Strauss faisait référence. Ce spécialiste qui apporte ses outils sur le site - “Nous arrivons avec notre vocabulaire, nos points de vue, notre expérience” et s’adapte à la situation sans jamais imposer, mais sans perdre de vue que “l’objectif est bien d’arriver à nos fins.” Il souligne encore que sa formation d’architecte à Los Angeles (il a aussi été diplômé en design urbain à New York) l’aide à pousser la réflexion très loin et lui a appris à travailler sans intermédiaire, “celui qui dessine, construit”. Il sait exactement ce qu’il veut et veille au moindre détail car il est “control freak”. Après ses études, il débute dans l’agence Arthur Erickson Achitects à Los Angeles avant de rencontrer, en 1987, Andrée Putman et de la rejoindre chez Écart S.A. à Paris. Pendant plusieurs années, il sera également professeur invité dans plusieurs universités américaines puis aux Arts Déco, à Paris. De 1997 à 2003, au sein d’Andrée Putman SARL, il travaille au côté de la grande dame avant de lancer sa propre agence en 2004, EBI, Elliott Barnes Interiors, très présente dans l’aménagement d’appartements et de villas privés de Paris à Tokyo. En 2008, il signe la renaissance du Duc des Lombards, le célèbre club de jazz. Aujourd’hui, il termine avec son équipe l’aménagement intérieur du siége social de Ruinart à Reims et la restauration du Ritz Carlton Hôtel à Wolfsburg, en Allemagne. “Je m’inscris d’une manière discrète dans un certain contexte mais toujours avec cet objectif d’emmener l’autre vers ce que je crois être la bonne solution. Mais pas question de tout bousculer d’entrée pour obtenir ce résultat.” Très évolutionniste, il préfère agir en douceur, en résonance, dans le respect des gens et des lieux, sans forcer et relever “ce qui est caché” pour en faire un atout. Il revendique sereinement avoir un certain regard. L’escalier en cuir qu’il a dessiné pour une maison familiale a été le moyen pour lui de faire le lien, “une introduction en douceur” entre le sol en bois du rez-de-chaussée et l’intimité des chambres à l’étage. Il a eu le déclic en observant que les habitants se déchaussaient en rentrant. Ainsi encore, cette maison privée sur la Côte d’Azur restée “dans son jus”, étudiée pendant six mois pour “jouer son rôle” et lui retrouver un esprit contemporain en mixant modernité et tradition locale. “Notre ambition est d’améliorer la qualité de vie des personnes qui font appel à nous, pas d’exister tout seuls.” Il aime associer à sa réflexion des artistes en tout genre, laisser la place à l’autre pour qu’il apporte son savoir-faire. Ce sera Guillaume Saalburg, le temps de fabriquer un ascenseur aux parois de verre qui jouent avec la lumière naturelle et révèlent chaque jour un éclairage différent, “quelque chose de non-designer”. Ou encore, ce boulier géant réalisé avec la souffleuse de verre Brigitte Bonnave, agrémenté de patines argentées et noires, qu’il a dessiné pour un spa privé. Pour un appartement de la capitale, il a fait appel à son amie Agnès Liptak, spécialiste de la peinture décorative, pour faire entrer les textures naturelles dans la maison et faire la part belle au liège, à l’écorce de bouleau ou à la pierre de Fontainebleau. Actuellement, il planche sur un bâtiment à forte empreinte industrielle à Paris (7e), pour dessiner un écrin sur mesure à une collection d’art très pointue. Ce fil rouge lui a permis de trouver une écriture qui dialogue avec le lieu et a servi de support au reste. “Un travail d’éditeur” s’amuse-t-il. Et si, définitivement, rien n’est laissé au hasard, on peut pourtant être sûr que vivre avec l’incontrôlable séduit cet esthète, en bon pro de l’impro… Question de tempo.

© Audray Saulem