Propriétés Le Figaro

Reportage

Dampierre, l’enchanteur

Dampierre, l’enchanteur
Lauréat du Grand trophée de la plus belle restauration, le château de Dampierre-sur-Boutonne témoigne d’une extraordinaire renaissance et d’une aventure humaine hors du commun incarnée par Marine et Jean-Louis Hédelin.

“Mon mari n’a pas une danseuse dans sa vie, mais tout un corps de ballet”, lance Marine Hédelin à propos de la restauration du château de Dampierre-sur-Boutonne, “depuis cinq générations” dans la famille de son époux Jean- Louis. Ce monumental château de la Renaissance situé en Charente-Maritime, classé depuis 1926, est tombé dans la vie de Marine comme un cadeau de noces empoisonné quelque trente ans plus tôt. Rien n’a été épargné aux Hédelin, depuis la bataille avec le fisc sur les droits de succession, la purge des dettes de l’ancien propriétaire jusqu’aux attaques des quatre éléments de la nature : “Dampierre a dû résister à la terre, l’eau, l’air et le feu”, commente Jean- Louis Hédelin en ne regrettant pas une once de cette restauration d’anthologie.

SAUVETAGES EN SÉRIE.

Le château n’est pas au mieux de sa forme quand les Hédelin l’acquièrent par héritage : la charpente et la couverture sont hors d’usage et la célèbre galerie Renaissance aux caissons sculptés du plafond s’affaisse, menacée d’effondrement par la dislocation du sol. Philippe Oudin, architecte en chef des Monuments historiques, rappelle qu’il a eu “l’idée de consolider les caissons par une structure portante en inox”. Pour cela, il a fallu déposer la galerie. Ensuite, toutes les charpentes et les couvertures ont été refaites. Pendant ce temps, une inondation attaque le château, puis la tempête de 1999 abat des arbres centenaires. On dirait que des forces obscures habitent Dampierre. En août 2002, le château a retrouvé son éclat, mais c’est le choc : un incendie l’enflamme comme une torche. Dans le village, on sonne le tocsin. Les habitants accourent et sauvent le mobilier, sauf une tapisserie. Dampierre, c’est “leur” château de village, autrement dit “leur” patrimoine touristique. Stoïque, Jean-Louis Hédelin se dit prêt à une seconde restauration qui, comme la première, durera dix ans. Les caissons ont tenu le coup grâce à l’inox, mais leurs sculptures de pierre se sont brisées en mille morceaux. Chaque morceau est alors recollé comme dans un puzzle, et un sculpteur local reproduit à l’identique quelques caissons incomplets d’après photos. Complexes, les travaux de restauration sont confiés aux entreprises locales spécialisées dans les monuments historiques : maçonnerie, charpente, couverture en ardoises, menuiseries. Les visites reprenant au plus tôt, on projette un film sur la restauration de la galerie, l’artiste Ghislaine Escande conçoit une exposition avec des petits morceaux d’objets brûlés… Drame au départ, l’incendie prend l’air d’un spectacle plaisant.

UN PUITS SANS FOND.

Si parler d’argent est d’un commun regrettable, voire diaboliquement plébéien, il n’empêche qu’un constat saute aux yeux : les restaurations à répétition du château de Dampierre s’apparentent à un puits financier sans fond. La première remise en état a coûté deux millions d’euros et la seconde a fait mieux encore puisqu’elle est montée jusqu’à trois millions, auxquels doivent s’ajouter 500 000 euros rien que pour la galerie haute. Les aides publiques de l’Etat, de la Région et du département ont été généreuses, mais un peu longues à mettre en oeuvre. “Pour ne pas dépasser le budget prévisionnel, nous avons procédé comme pour reconsstituer un artichaut, feuille par feuille”, signale l’architecte. Le mécénat privé a aussi mis la main au portefeuille plus modestement au travers d’une cascade de récompenses : French Heritage Society et EAC de la Demeure historique, Europa Nostra, prix Ardoisières d’Angers… La part des propriétaires, quant à elle, s’est élevée à 25 %, soit près d’un million et demi d’euros. Le fonctionnement de Dampierre est-il au moins à l’équilibre financier ? Même pas, répondent dans un accord sans fausse note les propriétaires : “Il faudrait entre 12000 et 15 000 entrées par an.” Or, l’an dernier, la récolte n’a pas dépassé 6 000 visites payantes.

UN MEMBRE DE LA FAMILLE.

La constitution d’un patrimoine est souvent déterminante dans la remise à flot d’un monument historique. Des acquéreurs envisagent même une revente avantageuse dès la fin de la première vague de travaux. Franchement, cela ne ressemble guère aux Hédelin, plutôt castors que requins. D’ailleurs, s’il leur arrivait malheur, le sort de Dampierre est scellé noir sur blanc. Pas question de vendre, bien sûr ! Un jeune petit-fils en sera l’héritier, chaperonné dans sa tâche de restaurateur de chef-d’oeuvre en péril par un neveu aguerri en la matière. Estce le goût de vivre dans le luxe du château qui prévaut? On en doute. Le couple a pris ses quartiers dans l’ancien pavillon de garde. Une maison de campagne, sans plus. Bon sang, mais qu’est ce qui le fait courir comme un seul homme derrière cet édifice? Car il est encore question d’embellissements, et notamment de restaurer les peintures de la cheminée de la salle d’armes et les boiseries intérieures détruites dans l’incendie. On pourrait se contenter de cette réplique basique, mais fondée, du propriétaire : “Dampierre fait partie de la famille.” En tant que tel, le château a droit au traitement réservé à un fils ou à un cousin, c’est un fait. La vérité est plus complexe, voire charnelle. On aperçoit Jean-Louis guidant une visite. Les accompagnateurs habituels, inoccupés à ce moment-là, pourraient le remplacer. “Mais un propriétaire ne peut jamais résister à l’envie de parler de son château”, lâche Marine devant cette scène vue et revue cent fois. Entre Dampierre et les Hédelin, aucun doute : c’est fusionnel.

LE GRAND TROPHÉE DE LA PLUS BELLE RESTAURATION 10, place du château 17470 Dampierre-sur-Boutonne Tél. : 05 46 24 02 24