Propriétés Le Figaro

Portrait

Adrien Gardère, designer, L’esthète éclairé

Adrien Gardère expose ses luminaires à Paris, transforme les plantes en éléments de mobilier et assure la rénovation du Musée d’art islamique du Caire. C’est l’un des designers les plus doués de sa génération.

L’espace est son élément. Son orchestration, ses flux et ses volumes, sont la véritable passion d’Adrien Gardère, muséographe, architecte d’intérieur, ébéniste de formation, qui cache derrière une allure juvénile et un humour décapant un professionnalisme nourri en se frottant au savoir faire des civilisations anciennes. Diplômé de l’École supérieure des arts appliqués Boulle, à Paris, il enchaîne avec l’atelier de mobilier des Arts décoratifs, sort major de sa promotion et prend la route. Ses chemins passent ensuite par l’Égypte, la Chine, l’Indonésie, l’Inde, Washington, Tokyo, la Basilique royale de Saint-Denis ou bien encore la maison du Docteur Gachet à Auvers-sur-Oise. Adrien Gardère admire Renzo Piano, qui “se renouvelle de façon extraordinaire à chaque projet”, et aujourd’hui attend en toute modestie l’ouverture, à la fin de l’année, du Musée d’art islamique du Caire sur lequel il travaille depuis quatre ans. Structure, circulation, design, il y a tout revu… Prudent, il préfère ne rien dire des autres projets d’envergure qui se profilent bientôt. Entre deux installations, il n’oublie pas non plus qu’il compte à son actif quelques best-sellers d’édition : fauteuil, chaise, bureau, bibliothèque, guéridon ou luminaires ; édités par Néotu, Perimeter, Cinna Ligne Roset, Marianne Guedin, Krios Italia sans oublier Artemide… Tous portent sa griffe. Rencontre.

Vous présentez chez Saazs une pièce manifeste. Quelle est sa genèse ?

Le travail que nous avons fait avec Arik Levy et Christian Biecher sur la collection Saazs a été présenté en avril au Salon du meuble de Milan. C’était un exercice imposé à partir de la plaque lumineuse créée par Thomas Erel, codéveloppée pendant plus de six ans avec les laboratoires de recherche et développement de Saint-Gobain innovations. Cette technologie Planilum, – un verre actif à motif éclairant – est très innovante. L’intensité lumineuse est répartie sur toute la surface du verre, elle n’éblouit donc pas et reste à une température proche de celle du corps. Nous avons imaginé chacun un objet. Les éléments graphiques étaient très contraignants et je les ai fait disparaître en créant cette poche fonctionnelle. C’est en quelque sorte un videpoche lumineux ! On peut voir ces séries limitées dans le showroom que Saazs vient d’inaugurer à Paris.

Ne faites-vous pas le grand écart entre vos différentes activités ?

Dans le cadre d’un musée, notre travail de réflexion, de gestation et de traduction est mis au service d’un contenu, de celui qui pense les contenus. Notre rôle est d’accompagner cette pensée. Les vrais enjeux sont intellectuels, artistiques, pédagogiques. Nous intervenons très en amont, pour définir les logiques des perspectives. Nous sommes dans une problématique d’espace, de flux, de circulation et de transmission. Mais il y a, pour moi, un lien naturel entre la pratique du design et la muséographie. À chaque fois, on raconte une histoire en essayant de la rendre fluide et intelligible, au point que les autres se l’approprient. Cette approche permet de croiser d’autres compétences que celles que l’on manipule habituellement dans le design ou l’architecture d’intérieur.

Y’a-t-il une différence entre la demande d’un particulier et celle d’un galeriste ?

On vend plus un fonctionnement, un mode de réflexion, qu’un style. C’est ce qui permet de durer dans le temps. Le contexte et le client déterminent le projet et l’histoire qu’il va falloir rendre viables. Dans le cas du particulier, l’approche des contenus est de l’ordre de la façon de vivre. On se demande comment il dort, comment il mange, afin de trouver des solutions. Il faut se pencher avec attention sur les usages. Il faut imaginer les courbes, les angles qui répondent à une attente précise. La réussite d’un projet réside dans la façon dont on s’adapte aux situations différentes, aux individualités. Je suis un rouage, l’élément charnière entre des besoins, des désirs, des usages, une production, des modes de vie… Il faut tenir compte de tout. Ce qui fait l’unité, c’est la cohérence de tout cela.

Comment définiriez-vous votre style ?

Il n’y a pas une forme ou une traduction formelle des choses qui identifie mon travail. Ce sont des pratiques multiples et variées du design. Ce qui me motive, quel que soit le genre, c’est la liberté. Quand je dessine du mobilier d’exposition ou des vitrines avec le spécialiste italien de ce type de mobilier, ce sont des pièces uniques que j’aborde avec le même esprit que les meubles que je peux créer pour un particulier. Chaque réponse doit être légitime, c’est l’essentiel pour moi. La pertinence que je vise là est la seule qui dure et qui fait sens. J’aime savoir que le décor que j’ai réalisé pour un petit café à Paris n’a pas bougé alors que les propriétaires ont changé trois fois. Il a tenu la route parce qu’il n’y a pas eu d’effet de codes.

Avez-vous un projet en cours ?

Le loft de la galeriste Suzanne Tarasiève, que nous sommes en train de terminer avec l’architecte Stéphane Chamard. La demande était précise et les exigences complexes. Nous devions préserver l’idée de galerie (nous avons donc créé un mur d’exposition tout le long de l’espace) et en même temps imaginer des pièces et des chambres dans lesquelles pourront résider des artistes.

« Ce qui me motive, quel que soit le genre, c’est la liberté. »