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Vignobles, Des domaines très prisés

Vignobles

Dans un marché foncier rural en repli, le secteur viticole résiste. D’après les Safer, le prix des vignes A0P a progressé en 2014 de 3,6 %, à une moyenne de 136 400 euros/ha.

Acquise pour l'agrément et l'exploitation, la propriété viticole n'en finit pas de séduire des citadins amateurs de vins et amoureux de la nature. Les Français sont de retour sur ce marché.

Le temps est venu de batailler contre les idées reçues. À entendre certains commentaires, on croirait que les investisseurs étrangers font main basse sur les vignobles français, l’un des plus beaux fleurons du « made in France ». Or, il n’en est rien.
Pour la première fois, une étude, réalisée par le réseau Vinéa Transaction, a passé au crible les acquisitions étrangères pour finalement constater qu’elles ne représentent qu’un petit 2 % du marché. Et encore, tout dépend de la région de production.

Pour 980 000 euros, une bastide du XVIIe siècle, des dépendances, six hectares de vignes, dont quatre en côtesdu- rhône et le soleil de la Drôme provençale (Vinéa Transaction).


UNE INÉGALE PRÉSENCE INTERNATIONALE

L’étude de Vinéa met en lumière « un ralentissement significatif des achats étrangers sur les dernières années », mais sans grand impact sur le marché des transactions car les Français investissent à nouveau dans la vigne. Autre enseignement de l’étude, les « disparités régionales sont fortes ». Ainsi, « Bordeaux et l’arc méditerranéen concentrent 90 % des investissements étrangers ». Le Bordelais, la première région productrice du pays, reste le fin du fin en matière d’image et d’excellence. Près de 5 % des surfaces sont détenues par des capitaux étrangers, soit 5 000 hectares, et environ 200 domaines et châteaux. La Provence demeure tout autant une région flatteuse, où 10 % des propriétés voguent sous pavillon étranger. Le spot mondial de Saint-Tropez garde notamment une formidable capacité d’attraction. Dans le Languedoc-Roussillon, le marché, quasiment inexistant avant 1990, s’est constitué entre 2 000 et 2005, mais se rétracte désormais. La vallée du Rhône, quant à elle, se montre hétérogène. Le sud, sur la rive gauche du fleuve, concentre neuf acquisitions non françaises sur dix, dont 85 % dans la partie vauclusienne. Par contre, le nord reste presque totalement français, comme le val de Loire qui souffre du manque d’appellations à forte notoriété. Bien sûr, la crise de 2008 a provoqué quelques ravages. Les Britanniques, la nationalité la plus friande de vignobles tricolores, ont été nombreux à repasser le Channel pour rentrer au bercail. En
revanche, la demande chinoise se porte comme un charme depuis cinq ans mais ne pénètre quasiment que le Bordelais. Dans cette région qui perçoit la vigne comme son plus noble héritage, 70 % des propriétaires étrangers proviennent de la seconde
puissance économique mondiale. Eh oui, nous sommes au XIXe siècle…

Le château de Birot et son parc. Cette petite merveille architecturale du XVIIIe siècle a été acquise en décembre par le groupe chinois New Century, propriétaire de 160 hôtels de luxe.


BORDEAUX, « L’ÉTIQUETTE »

À Bordeaux, l’agence immobilière Maxwell-Storrie-Baynes a récemment mené à bien plusieurs transactions auprès d’acquéreurs chinois. Château de Birot en est l’exemple. Cet appellation d’origine protégée cadillac côtes-de-bordeaux a quitté le giron de la famille Fournier-Casteja pour rejoindre le groupe hôtelier chinois New Century. Château Renon, un autre AOP côtes-de-bordeaux, a été cédé à un Chinois de Beijing, membre de la Jurade de Saint-Émilion, une ancestrale confrérie des vins. La qualité spectaculaire du bâti historique a su faire son petit effet, de même que le jardin à la française et les écuries. Mais ce n’est pas tout : « Les acquéreurs chinois sont plus connaisseurs qu’auparavant, constate Karin Maxwell. La plupart ont vécu en
Europe. Nombreux sont ceux qui ont des débouchés, comme des chaînes hôtelières. Leur acquisition n’est pas juste un rêve mais un projet mûri. » Cette Britannique amatrice de bons vins, qui a démarré sa carrière en exportant l’or rouge bordelais
dans son propre pays, recommande plusieurs appellations différentes qu’elle estime d’un bon rapport qualité-prix : les fronsac, les la-lande-de-pomerol et les côtes-de-bordeaux-castillon de la partie proche de Saint-Émilion. La gamme de propriétés débute à 600 000-700 000 euros pour moins de 5 hectares, une maison de charme et un chai en assez bon état, tandis que les AOP plus qualifiés cotent entre 1,5 et 3 millions. Ceci étant dit, les valeurs font rapidement de l’escalade : « Nous venons de vendre en satellite de Saint-Émilion un très beau château comme il y en a peu pour plus de 5 millions, souligne Henri Courau, d’Emile Garcin Gironde. Le nouveau propriétaire, un grand industriel français, a craqué pour le terroir et le château entouré de ses 20 hectares de vignes. »

Dans l’arrière-pays varois, la famille Delon père et fille vient de réaliser son rêve : devenir les propriétaires d’un domaine viticole. Le choix s’est porté sur Château Saint-Baillon, un grand nom en côtes-de-provence rouge, la couleur emblématique du
vin. Le Château produit aussi deux cuvées de rosé de très bonne qualité, commercialisées en France et à l’export. En Provence, on ne peut pas faire l’impasse sur le rosé, c’est la signature de la région. « Nous avons été séduits par la bastide du XVIe siècle et les 200 hectares d’un seul tenant, dont 23 de vignes et 170 de forêt. De surcroît, le travail traditionnel de la terre, mis en place par l’ancien propriétaire, nous correspondait sans être bio. C’était une belle endormie au fort potentiel qui ne demandait qu’à être réveillée », explique Marie Delon, une « primo-vigneronne » comme on en rencontre de plus en plus dans le monde traditionnellement masculin de la vigne. L’achat de la propriété a coûté au bas mot plus de 5 millions d’euros, auxquels s’ajoutent de lourds investissements, en premier lieu pour replanter et restructurer les deux cuveries. « Pour nous, c’est une passion avant toutes choses, reprend la propriétaire. Nous vivons dans un cadre agréable tout en travaillant un produit qui parle différemment d’une saison à l’autre. C’est passionnant à tous les niveaux. » Passion : le mot est lâché et exprime tout à fait la raison – ou la déraison – qui conduit à vivre dans les vignes pour la vigne. Mais les valeurs élevées des domaines, particulièrement à proximité du littoral provençal, ne sont pas à portée de tout un chacun. « Il faut compter au minimum de 5 à 10 millions d’euros, estime Thibaud Desprets de l’agence éponyme. Nous avons par exemple en portefeuille un très beau vignoble de 14 hectares en côtes-de-provence avec une bastide, des bois et une cave de vinification à quelques minutes des plages du golfe de Saint-Tropez.Le prix dépasse largement 10 millions d’euros. »

L’arrière-pays se montre généralement plus abordable que le golfe de Saint-Tropez, élitiste, qui affiche des valeurs souvent élevées.


L’ESTIMATION D’UN VIGNOBLE

Dans la vallée du Rhône vient d’apparaître le métier de « négociant en raisins », importé notamment de Bourgogne. Samuel Montgermont, un Bourguignon qui a fondé une maison de négoce à Châteauneuf-du-Pape, est l’un des tout premiers à pratiquer cette activité sur l’axe rhodanien. « Nous contractons le rachat de raisins avec les vignerons et mettons en place des chefs de culture, argumente-til. Le négociant d’aujourd’hui n’est plus un simple embouteilleur. Il recherche la qualité de la matière première, et c’est dans ce sens que le métier de négociant en raisins va se développer. » La filière viticole change effectivement. La frontière historique entre producteurs et négociants apparaît de moins en moins tranchée. L’externalisation se déploie, et le primo-vigneron pourra largement faire appel à une équipe de prestataires de services et d’experts. Plus délicat reste l’achat de la propriété qu’il faut éviter de surpayer. Pour José Canadas (Lord and Sons), la meilleure acquisition, c’est-à-dire le mas à restaurer, devient rarissime dans cette région où se sont installés des Allemands et des Suisses depuis cinquante ans : « Nous avons en vente une propriété d’un seul tenant avec 22 hectares en côtes-du-rhône-villages et de l’immobilier à restaurer. Elle vaut 1,6 million. Si elle était rénovée, elle coûterait le double et serait surestimée. C’est un bien rare. »


PEUT-ON VIVRE DE SES VIGNES ?

Le primo-vigneron est souvent un ancien citadin. Il recherche un lieu d’agrément au soleil au milieu d’une nature qui a du souffle. Il se lance dans la grande aventure de la vigne en restant actif dans son ancienne activité en tant que consultant. Des chefs d’entreprise forment l’autre bataillon des primo-vignerons et sont souvent fin prêts pour une reconversion à 100 %. À l’âge de 60-65 ans et après avoir revendu leur affaire, ils réalisent leur rêve de jeune homme. « Depuis dix-huit mois, constate Michel Veyrier, fondateur de Vinéa Transaction, nous assistons à un transfert entre les étrangers qui ont pris du recul et les Français qui trouvent toujours une bonne raison d’acquérir une propriété viticole. La tendance est à la petite propriété de 10 hectares, dont les vignes et la vinification sont exploitées par des prestataires de services. » Peut-on vivre de ses vignes, voire réussir un domaine en France et une marque à l’international ? Les risques existent, comme le gel, la grêle, le manque de maturité. En Alsace, cinq minutes de grêle viennent de détruire un potentiel de 350 000 bouteilles et un gain de 7 millions d’euros. Pour autant, « il est parfaitement possible de réussir dans la vigne », admet Bernard Magrez, un négociant bordelais devenu propriétaire de plusieurs dizaines de châteaux et de grands crus. Les clés de la réussite selon lui ? « Faire un bon vin qui plaît aux amateurs et déterminer un prix en adéquation avec la qualité et l’appellation. Complémentairement, et c’est le plus important, il faut choisir les bons circuits commerciaux, que ce soit par les négociants de Bordeaux, le e-commerce ou éventuellement une organisation efficace de vente à la propriété. Et surtout méditer sans modération ces quelques mots : “Ce n’est pas parce que la qualité du vin est au goût du viticulteur qu’elle est obligatoirement à celui du consommateur”. »