Propriétés Le Figaro

Dossier

Les artistes du végétal se libèrent

Les artistes du végétal se libèrent

Installation magistrale, signée Patrick Nadeau pour le show-room parisien Boffi lors des Designer’s Days.

Le design végétal ne consiste pas seulement à copier la nature et ses formes. Dans la foulée de créateurs comme Gilles Clément, Patrick Blanc ou Pascal Cribier, une nouvelle génération précise son champ d’action et se frotte à de nouveaux enjeux.

“Le designer agit à l’échelle d’une plante, l’architecte et le paysagiste, à celle d’un paysage, précise Patrick Nadeau, agitateur de la discipline qui a commencé des recherches sur le design végétal à la fin des années 90. Je trouvais fabuleux le paradoxe d’une plante poussant sans terre sur un objet ; un bout de bois ou de métal ne montrant que sa matière verte.” C’est tout naturellement dans le cadre de l’exposition “ Jardins Jardin* ”, qui se déroulera du 31 mai au 3 juin aux Tuileries, à Paris, que cet architecte et designer dédicacera le livre Végétal Design : Patrick Nadeau que lui consacre Thierry Beaumont (à paraître en mai, coédition Alternatives et Particule 14). Cette monographie largement illustrée (notamment avec un herbier du design, vu sous l’angle du plasticien, mais avec l’esthétique du botaniste) revient sur le travail d’un homme de passions qui fait bouger les lignes depuis les années 2000, allant jusqu’à créer un atelier d'enseignement du design végétal à l’École de design de Reims et aux Arts décoratifs à Paris.

“L’étymologie du mot “ design ” établit un lien inattendu avec la part verte du monde, rappelle Thierry Beaumont. L’origine du mot anglais design est issue du français “ dessein ”, qui signifie jusqu’au XVIIe siècle à la fois “ dessin ” et “ but ”. Le verbe “ desseigner ” est alors employé par les instructeurs des jardins à la française, maîtres de l’art topiaire qui consiste à tailler arbres et arbustes dans un but décoratif. Doté d’une sémantique plus large que celle de “ dessiner ”, “ desseigner ” induit alors la notion de projet organisé se heurtant aux lois imprévisibles de la nature.” A Versailles, nous apprend-il encore, on utilisait un vocabulaire issu de l’intérieur – tapis, broderies, salon… – pour définir les jardins. Ce qui est encore valable aujourd’hui puisque le design végétal s’intéresse à l’introduction du vivant dans l’environnement construit, à l’échelle de l’objet et des espaces quotidiens.

“La démarche intuitive et plastique du design végétal, précise Patrick Nadeau, se fonde sur des rapprochements : plantes et objets, végétal et architecture, matière vivante et matériaux artificiels. Elle porte une interrogation fondamentale sur les missions du design : confronter les objets à d’autres temporalités, les soumettre aux altérations du temps et au rythme des saisons permet-il de les rapprocher de la vie quotidienne des utilisateurs ? Le design végétal porte une réflexion concrète sur la place du végétal dans notre quotidien (domestique, professionnel, commercial, urbain…) avec, pour toile de fond, la relation en perpétuelle évolution de l’homme à la nature.” Donc pas question de mettre du vert pour mettre du vert, encore faut-il bien le mettre ! Le designer n’utilise le végétal que lorsque cela a du sens. Et ce matériau organique, vivant, qui pousse, dégage des odeurs et lui permet de concevoir des formes nouvelles, il doit l’intégrer à l’échelle de l’architecture, en faireune matière de design, pour retrouver à traversuncadrage, un morceau de nature miniature. Avec la Maison vague végétalisée qu’il a conçue pour le groupe d’immobilier social l’Effort rémois, à Reims (à découvrir fin 2012) ou Vertilignes, sa gamme d’objets modulables et transformables, Patrick Nadeau transforme l’essaie. Culture hors sol ou au mur et geste du jardinier.

Présent également à “Jardins, Jardin”, Alexis Tricoire a imaginé un Igloo tropical et sa vasque flottante. Le plasticien végétal avait déjà exposé aux Tuileries, un tipi végétal. Cette année, son prototype de jardinière- luminaire hybride conçu pour l’intérieur et pour l’extérieur rappelle que les pôles se réchauffent, dégèlent et nous entraînent vers un dangereux déséquilibre climatique. “J’ai passé mon enfance au Brésil, raconte- t-il sous une de ses dernières créations,un “mobile vase” installé dans la nouvelle boutique Perene à Paris, et tout est prétexte à communiquer autour de la biodiversité, à réveiller la conscience écologique.” Designer de formation, Alexis Tricoire, qui a travaillé aux côtés de Patrick Blanc, explore depuis 2006 les limites du possible entre le design et le végétal, le végétal et l’architecture, la plante et l’objet.

Avec Végétal Atmosphère, le studio qu’il a créé en 2009, il conçoit et réalise des architectures, scénographies, mobiliers et objets qui explorent de nouvelles voies techniques et esthétiques de végétalisation adaptées à l'outdoor et l'indoor. Parmi elles, le lustre Babylone, édité depuis 2011 par Greenworks en Suède, le coussin-jardinière enPVCrecyclé Green Pillow chez l’éditeur d’éco-design Art Terre, et pour le pôle de loisirs Unibail, inauguré à Lyon Confluences, quatre réalisations monumentales “qui témoignent que le végétal doit conquérir de nouveaux territoires dans l’espace urbain”. Design végétal, surprises artistiques et innovations scientifiques sont aussi au rendez-vous du Festival international des jardins à Chaumontsur- Loire (jusqu’au 21 octobre) qui fête ses vingt ans autour du thème plein de promesses “Jardins des délices, jardins des délires”. Louis Benech signe le nouveau parc de dix hectares, Alain Passard est président du jury 2012. Quant au Festival Art, villes et paysage - Hortillonnages Amiens 2012, organisé par la Maison de la culture d'Amiens, (du 2 juin au 14 octobre), il a invité de jeunes paysagistes, plasticiens, architectes et designers venus de France et du nord de l’Europe à tisser des liens entre jardin, paysage, urbanisme et création contemporaine, afin de porter un regard différent sur des espaces en mutation. L’art est aussi au rendez-vous. Signe des temps, au dernier salon de Milan, Tectona s’est associé avec la paysagiste Elisa Campra de Néo à Turin pour présenter un concept englobant l’architecture du jardin et son aménagement végétal et mobilier.

Enfin, plus que jamais, les créations de designers en appellent au végétal commesource d’inspiration. Ainsi, Christophe Delcourt pour RocheBobois prolonge son hommage à l’arbre avec une collection de sièges d’extérieur et des corbeilles en branches d’acacia. Et c’est encore le vocabulaire visuel de l’arbre sous toutes ses formes – buissons, brindilles, racines, troncs, floraison – que décline Eric Robin pour l’exposition Arborescences à la galerie En attendant les Barbares. Il le transforme en console, guéridon, table basse, lampe et lampadaire. Des formes dont les pieds racines s’enfoncent dans le sol. La nature a toujours le dernier mot…

"Jardins, Jardin" s’intéresse cette année aux tendances du jardin urbain et du design d'extérieur autour de la thématique micro-jardins et nouveaux paysages. L’exposition accueillera également les réalisations des écoles supérieures de design, paysage, architecture sur le thème de la nature en ville.