Propriétés Le Figaro

Dossier

Le manoir du Catel, rajeunit de dix siècles, Le Grand Trophée de la plus belle restauration

Le manoir du Catel, rajeunit de dix siècles

Dans le pays de Caux, près d’Yvetot, La maison forte d’Ecretteville-les-Baons, plus connue en tant que manoir du Catel, est sortie de l’oubli grâce au programme de restauration de Frédéric Toussaint,

Édifié sous Saint-Louis, le manoir du Catel n’était plus que l’ombre de lui-même avant qu’une pléiade de travaux lui redonne la dignité d’un château féodal. Une reconquête sur les désordres du temps, lauréate du Grand Trophée 2013 de la plus belle restauration.

Richard de Trégots avait du bon sens. Ce dixième abbé de Fécamp a fait édifier le manoir du Catel dans un vallon plutôt que sur un promontoire, comme la coutume l’aurait voulu au XIIIe siècle. La raison en est simple : l’emplacement en fond de vallée permet de recueillir abondamment les eaux de ruissellement pour alimenter les douves, le meilleur système défensif d’alors. Autre innovation du bâtiment, typique de cet âge d’or des cathédrales : la pierre pour matériau de construction, et non plus la terre et le bois des châteaux forts des deux siècles précédents. En outre, le manoir comportait quatre tours d’angle identiques. Une singularité, car la notion de symétrie, disparue en même temps que l’empire romain, ne subsistait au Moyen Âge que pour symboliser la perfection divine. Cet édifice visait donc un haut niveau de mise en scène. Il s’agissait ni plus ni moins de formuler dans la pierre la puissance de l’abbaye de Fécamp, qui abritait près d’un millier de moines et s’était vu octroyer par Saint-Louis le pouvoir de haute justice. Les abbés pouvaient alors condamner à mort ou bannir les accusés en les réduisant au vagabondage et à la mendicité. Une mise à mort sociale aussi dure que la peine capitale ! Richard de Trégots est-il le fondateur du Catel ? Ce n’est pas certain, selon Pascal Pradié, moine bénédictin et membre rattaché au CNRS en charge des études historiques du manoir. Les chartes, trop rares pour se faire une idée précise, évoquent tout de même le bourg d’Ecretteville dès le XIe siècle. Au siècle suivant, l’abbé Henri de Sully, cousin d’Henri II Plantagenêt, aurait peut-être délocalisé un manoir primitif au fond de la vallée. Jusqu’au XVIIIe, la « maison forte » fonctionne comme une cour de justice, dans laquelle l’abbé de Fécamp se comporte en seigneur et maître absolu.

La justice et le foin De leur côté, les prisonniers griffonnent leurs états d’âme sur les murs. Ce sont de très précieux clichés de la société médiévale (voir encadré ci-dessus). Le manoir remplit alors ses missions féodales et monacales, mais se comporte comme une grosse ferme exploitant des terres agricoles, des forêts et pratiquant l’élevage. Et bientôt, cette fonction outrepasse les autres au point que le bâtiment devient, au milieu du XVIIIe siècle, un entrepôt à grains. La Révolution se passe sans grande anicroche, le bien étant géré par des fermiers et non des aristocrates ou des religieux. Durant les deux siècles suivants, la disparition des éléments défensifs perdure.

Le sauvetage démarre Depuis une dizaine d’années, il ne restait plus du château féodal qu’un grand corps de bâtiment, cantonné au sud par une tour menaçant de s’effondrer. Pour autant, c’était la seule des quatre à rester debout ! Une « verrue » avait poussé le long de la façade avant : un bâtiment de briques, servant de logis au fermier. Le toit en chaume n’avait plus rien de noble, mais la composition de l’ensemble, dont l’enceinte, avait été épargnée. Et la porte fortifiée affichait toujours une allure martiale. C’est cette figure imposante qui provoqua un déclic auprès de l’acquéreur potentiel, grand amateur du Moyen Âge depuis l’enfance.

Parisien pur jus du IVe arrondissement, Frédéric Toussaint achète le manoir du Catel en 2000. Disons plus justement qu’il met la main sur quelques vestiges du Moyen Âge. Tout de suite, le combat s’engage avec la mérule, champignon du bois trop humidifié. Des hommes en scaphandre sont obligés de venir projeter de l’acide, des fongicides et du feu sur l’ennemi. Autre plaie : des torrents de boue envahissent les salles du rez-de-chaussée au moindre orage. Des terrassements conséquents s’imposent en guise de répliques musclées. Puis une partie de ping-pong s’enchaîne avec les administrations pour obtenir le permis de construire. Quel n’est pas l’étonnement du propriétaire, lorsqu’il découvre que la charte de Venise, adoptée en 1975, interdit de reconstruire à l’identique le moindre fragment d’un monument disparu s’il n’y a ni archive, ni trace le concernant.

À l’avant, la tour en mauvais état a donc pu être restaurée. En revanche, la seconde a été construite à neuf en béton enduit à pierres vives. Un épiderme comparable, mais pas identique. Quant aux tours de l’arrière, des esquisses sont en cours en vue de consolidation et de mise en valeur. Un important programme de fouilles archéologiques poursuit l’objectif de restituer les douves, comblées à la Renaissance, et le pont-levis Pour Thierry Glachant, l’architecte du patrimoine qui suit ce lourd dossier, le bâtiment a la chance, dans sa malchance, d’avoir été transformé en grenier à foin : « Cette mise hors d’eau l’a sauvé », remarque-til en insistant sur la bonne préservation de l’authenticité historique du bâti. Une logique de conformité aux usages d’autrefois que défend l’actuel maître d’ouvrage : « Il adopte une démarche de conservateur », lui reconnaît l’architecte. Depuis 2010, le manoir est classé monument historique. La grande bâtisse du Moyen Âge est en passe de redevenir le château féodal qu’il fut autrefois. Au terme de ce parcours, il sera le seul site de Normandie à posséder un pont-levis en état de fonctionnement. En définitive, la justice qui fut rendue dans le manoir ne semble pas avoir été si implacable et n’a jamais été suivie d'exécutions capitales sur place (le bûcher se tenait en effet à une trentaine de kilomètres de là, dans l’abbaye mère de Fécamp). Toutefois, aujourd’hui, le manoir du Catel semble bien parti pour donner du fil à retordre au successeur des abbés : piles de devis à valider, montagnes de factures à payer, foule de dossiers de subvention et de crédit bancaire à remplir… De quoi provoquer de belles poussées d’adrénaline, le quotidien des propriétaires de monuments historiques.

© Eric Sander