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Suisse, Le luxe, à quel prix ?

Suisse

Le château de Chillon face au lac Léman et au mont Blanc. La Suisse attire toujours les acquéreurs étrangers

La tempête financière qui a balayé la Suisse en début d’année a impacté l’immobilier. Et, pour une fois, l’offre dépasse la demande sur les segments les plus prisés du marché.

Le 15 janvier, la nouvelle est tombée brutalement, comme une mauvaise chute de neige. Ce jour-là, la Banque nationale suisse a annoncé, à la surprise générale, son abandon du cours plancher de 1,20 CHF (franc suisse) contre un euro, en vigueur depuis 2011. Immédiatement, la Bourse helvétique a plongé à son niveau le plus bas depuis la dernière crise financière internationale en 2008. Les milieux d’affaires, notamment expor tateurs comme celui de l’horlogerie, se sont alarmés, allant jusqu’à évoquer un « tsunami» financier. En revanche, l’appréciation de la monnaie semble bénéfique aux Suisses, nombreux à aller dépenser leurs francs forts dans les enseignes voisines d’Allemagne et de France. En une journée, leur pouvoir d’achat a augmenté de 20 à 30 % ! Bonne nouvelle également pour les frontaliers, qui viennent chaque jour travailler en Suisse. Leurs revenus se sont accrus dans une telle proportion que certains d’entre eux, originaires de Suisse, songeraient peut-être à revenir au pays si les prix de l’immobilier se montraient plus accessibles.

Entre Genève te Lausanne, le château du Martheray a trouvé preneur pour 20 millions CHF

Un franc plus fort.

Faute du recul suffisant, les agents immobiliers suisses gardent une certaine réserve sur le rebond vertigineux du franc. « Il est encore difficile d’anticiper les répercussions sur l’immobilier, mais je suis assez optimiste pour le marché du luxe, confirme Georges Kiener, directeur de Barnes Suisse. Les acquéreurs sont souvent des étrangers fortunés, mais soit ils résident déjà en Suisse, soit ils détiennent des avoirs qui ne sont pas libellés uniquement en euros. Qui plus est, un franc plus fort valorise tant l’achat que la revente, et renforce l’aspect patrimonial. » une nuance cependant : « Les stations de montagne, convoitées pour le plaisir, pourraient être davantage impactées que les villes. » de son côté, Claude Atallah, directeur de SPG Finest Properties Christie’s, émet deux hypothèses qui pourraient au final se conjuguer : « Soit le franc suisse sera perçu comme la seule monnaie refuge existante, soit les prix de l’immobilier baisseront pour s’ajuster à de nouveaux budgets. D’ailleurs, les valeurs se sont déjà érodées. En 2014, pour la seconde année consécutive, elles ont perdu environ 15 %, mais elles étaient montées trop haut. L’offre s’est aussi étoffée. Nous avons par exemple un certain nombre de propriétés à vendre à Cologny, une des communes les plus riches du canton de Genève , ce qui était rare auparavant. » autre pronostic, émanant de Jacques Emery, responsable des ventes sur Genève de Naef Prestige Knight Frank : « La demande interne devrait se maintenir d’autant que les taux d’intérêt sont très bas », anticipe-t-il. Pour ce qui est de la clientèle internationale, « la Suisse garde de l’attractivité en raison d’autres critères que sa monnaie, et notamment sa stabilité ». il cite l’exemple d’un client, en provenance de Singapour, qui a maintenu la recherche qu’il lui avait confiée. Cependant, il a revu à la baisse son budget initial de 8 millions de francs suisses en le repositionnant aux alentours de 6 à 7 millions.

La Suisse garde de
l’attractivité
grâce à sa stabilité

L’interrogation fiscale.

L’année 201 4 n’a pas été un grand millésime pour l’immobilier au t de gamme suisse. En effet, plusieurs «votations » (référendums) successives ont fait peser des menaces sur le «forfait fiscal ». Ce mode d’imposition particulier à la Suisse est particulièrement favorable aux résidents étrangers détenteurs de gros patrimoines. Il s’agit ni plus ni moins pour eux de négocier avec l’administration fiscale suisse un forfait annuel d’impôt , calculé sur le train de vie dans le pays et non sur les revenus perçus à l’étranger. Des propriétaires étrangers se sont donc rendus dans les agences immobilières pour faire estimer leurs biens, de crainte de perdre leur forfait. Certains avaient même pour projet de quitter le pays au profit du Royaume-Uni, resté plus clément avec les grandes fortunes. Les acquéreurs, tout aussi inquiets, ont fait preuve d’attentisme. Les transactions ont perdu leur élan, l’offre s’est légèrement alourdie et les prix ont commencé à glisser.

Sur la station de Crans-Montana, Barnes présente deux chalets à construire à 6 millions CHF, 600 m² habitables

Les trésors lémaniques.

Aux alentours du lac Léman, les segments résidentiels classiques conserven t une tonalité positive, qu’il s’agisse de l’appartement aux environs du million ou de la villa de 2 millions. Des fonds d’investissement recherchent régulièrement des immeubles à louer dans le secteur. Le marché du luxe a davantage souffert en raison des incertitudes fiscales, mais aussi et surtout de la structure de son offre. « Le parc suisse ne comporte pas un offre aussi large de biens anciens de qualité qu’à Paris, regrette Jacques Emery. Les biens datent principalement des années 1970-1980. Ce qui entraîne un décalage avec la demande. » car les biens recherchés sont loin de la maisonnette sans âme à rafraîchir, voire à démolir après l’avoir payée 15 millions ! Non, il faut de la « prime location ». De l’élégance, du bon goût, de la qualité mêlée à du rationnel. De belles transactions ont abouti l’an dernier, comme celle du château du Martheray : un édifice du XVIe siècle situé sur un hectare de terrain entre Genève et Lausanne, 1 500 m2 habitables, doté d’un parc à la française, avec vue sur le Léman, et ayant bénéficié de quatre années de rénovation… L’accord s’est conclu aux environs de 20 millions CHF, entre un propriétaire italien et un acquéreur français, tous deux résidents depuis longtemps en suisse. De remarquables « objets immobiliers » sont à disposition, comme un penthouse dans la résidence Gevray, neuf, jamais habité et au coeur de Genève. Dans le canton de Vaud (Lausanne), des propriétés retiennent l’attention avec leurs vastes terrains au bord de l’eau et leur vue sur le mont Blanc, dont raffolent les Britanniques. À l’Isle, dans le district de Morges, une propriété de 10 pièces à vocation équestre attend son propriétaire. Barnes annonce 3 490 000 euros.

Ce chalet à Verbier, présenté entre 12,5 et 14 millions (SPD Finest Properties Christie's), offre des prestations exceptionnelles, telle la piscine intérieure

L’appel des sommets.

Un peu comme le Tout - Neuilly se retrouve sur les planches de Deauville le week-end, le tout-Genève se donne rendez-vous à la montagne. À partir d’un certain niveau de fortune, on n’est finalement bien qu’entre soi. ceci étant, les suisses ne cèdent pas leurs terres à n’importe quelle condition. Dans certaines zones touristiques, la loi ne permet aux étrangers d’acquérir que 200 m2 habitables sur une parcelle de 1 000 m2. Des contingents sont alloués mais, dans le contexte actuel assez mou, certains cantons ne les ont pas encore atteints. les localités de Verbier, Crans-Montana et Villars proposent plus de choix que d’habitude. Ces stations sont réputées pour leurs pensionnats élitistes, comme à Villars. on leur reconnaît une qualité de construction et de la rigueur dans le service. Qu’un propriétaire contacte depuis Londres ou Paris un artisan pour une réparation, celle-ci sera exécutée en temps et en heure pour son arrivée. Avec la fameuse précision de l’horlogerie suisse. Moins sportive mais plus « glamour », le village de Gstaad affiche une petite offre. Selon Thierry Fisher, responsable de l’agence John Taylor, « les acquéreurs viennent de plus en plus du Moyen-Orient et de l’Europe du Nord. Sont aussi présentes de grandes familles d’Amérique centrale et du Sud ». Les résidents russes étant peu nombreux, le marché n’est pas impacté par leur soudain retrait, comme à Courchevel. Le prix des nouvelles constructions atteint approximativement 40 000 CHF/m2. Les biens construits il y a dix à trente ans, s’ils sont très correctement placés, s’échangent en moyenne à 32 000 CHF/m2. La moyenne s’élève à 24 000 CHF/m2 dans la région. En outre, l’opportunité de louer son bien est rentable, à en juger par les tarifs pratiqués : entre 80 000 et 140 000 CHF pour deux semaines pendant les fêtes de fin d’année. « La demande locative s’avère forte, pourvu que le chalet soit vaste, avec 5, 6 ou 7 chambres, doté d’un service hôtelier et si possible, d’une piscine intérieure et d’une salle de sport, reprend le responsable de l’agence. Le bien doit être situé de préférence dans le centre du village ou très proche d’un hôtel 5 étoiles. » quels sommets les valeurs peuvent-elles atteindre ? Madonna aurait acquis son chalet pour plus de 30 millions, mais ce n’est qu’un bruit qui court. Le secret reste bien gardé, à la mode suisse : en toute discrétion. Gstaad n’est pas Miami, et Lausanne, malgré ses collines, n’est pas Hollywood. les suisses cultivent l’art d’être riche sans le montrer.

à Gstaad, le
neuf atteint les
40 000 CHF le m2