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I loft you

I loft you
Le loft est un fabuleux objet de désir. On rêve de ses grands volumes, de son architecture, de son design. Un marché mature, resté mythique.

“Loin de nous le temps des grands vides squattés par des artistes. Ou de la déco extravagante des années quatre-vingt. Le loft a conquis ses lettres de noblesse et est entré dans le club sélect des appartements de réception, familiaux et élégants. Les plus belles ventes de lofts vont jusqu’à déchaîner les passions, comme les objets d’art : Evan Williams, le cofondateur de Twitter, a créé un formidable buzz en annonçant sur la toile, la mise en vente de son loft au point que le serveur de l’agent immobilier a explosé. S’offrir un loft, c’est se faire plaisir. C’est aussi quelque peu flatter son ego, avouons-le. Rarement un appartement contemporain n’a autant sublimé la créativité de ses propriétaires.

UNE LIBERTÉ D’AMÉNAGEMENT

Étymologiquement, le terme anglo-saxon “loft” désigne un grenier ou plutôt des combles aménageables. Selon Nicolas Libert, qui a fondé Ateliers Lofts et Associés, l’agence immobilière spécialisée sur ce marché, le loft se définit comme “un espace à vocation industrielle ou commerciale reconverti en lieu d’habitation. La règle est imparable et ne souffre aucune exception.” L’étage épuré d’un immeuble haussmannien ou d’un hôtel particulier n’est donc pas un loft à proprement parler, même réaménagé “tendance loft” avec talent. L’atelier d’artiste possède aussi une architecture différente. Ce lieu cubique dépasse rarement 60 à 70 m2 au sol alors que le loft s’ébat souvent en toute liberté sur 200 m2 et plus. La liberté, voilà le trait de génie du loft. L’immeuble industriel ne se compose que de plateaux libres et de piliers. En comparaison, le plan de l’appartement classique aux murs porteurs semble figé. Les évolutions ne s’admettent qu’au prix de travaux gigantesques. Cette liberté d’aménagement exceptionnelle explique en grande partie l’engouement pour cette loft.

LA MÉMOIRE DU LIEU

Une collection impressionnante de sites a été détournée en lofts : usines du début du XXe siècle aux structures métalliques de type Eiffel, imprimeries, chais dans les régions viticoles, entrepôts, boutiques, péniches, moulins… Depuis peu, de nouveaux lieux font l’objet d’intérêt, tels que les chapelles, les gares et les petits tribunaux régionaux cédés généralement par les Domaines. Ateliers Lofts et Associés va jusqu’à présenter dans son catalogue une mine d’or au pied du parc des Cévennes. Des bâtiments colossaux aux murs épais comme on savait les édifier au XIXe siècle, dont une partie a déjà été réaménagée en gîtes ruraux, mais une autre reste à imaginer et à rénover. Quoique fonctionnels, les sites industriels ont une valeur historique, voire décorative. “La cheminée d’une ébénisterie-menuiserie, un monte-charges, un plancher industriel en chêne ou une inscription en fronton de façade sont autant de signes particuliers, desquels tirer profit”, souligne Nicolas Libert en voyant dans ces éléments décoratifs l’autre raison d’une certaine loftmania. À cela s’ajoute les volumes spectaculaires de 4 à 5 mètres sous plafond et l’apport de lumière naturelle au travers des verrières.

UNE CLIENTÈLE ATYPIQUE

À Paris, l’une des premières artistes qui vécut dans un loft fut Andrée Putman. Les directeurs artistiques de la mode et le monde du cinéma ont pris sa suite, amoureux du mode de vie libre sur ces plateaux bien charpentés. Ainsi, 20 000 lieux, l’agence de repérage de sites extraordinaires pour le cinéma et la mode, a créé un département immobilier : “J’avais observé que des transactions s’opéraient à la suite de nos défilés et tournages de films”, explique Nicolas Courson, fondateur de 20 000 lieux. Le catalogue de l’agence présente régulièrement une petite collection de lofts en vente. En ce moment, est proposé, entre autres, un théâtre du XIXe siècle reconverti en usine de casques un siècle plus tard. Complètement dans son jus, sur quatre niveaux et 1 300 m2, le bien se situe à côté du musée Picasso dans le Marais. Le plateau de 100 m2 du dernier étage pourrait muter en loft. Des clients se montrent déjà intéressés, peut-être pour en faire un lieu culturel ? La cote est élevée, vu l’énormité du lieu : 13 millions d’euros. L’agence présente aussi le loft “déco” de l’architecte Isabelle Stanislas, près du canal Saint-Martin dans le Xe arrondissement. Un 2e étage sur cour dans une usine réhabilitée : 160 m2, 1 260 000 euros. Le loft séduit beaucoup les professionnels qui voient en lui un lieu mixte d’activité et de vie : architectes, photographes, graphistes, journalistes, éditeurs… Sous des dehors d’apparat, il reste familial en modèle extra-large, capable d’accueillir trois à quatre chambres et autant de salles de bains. A contrario, un petit loft de 25 à 30 mètres au sol suffit, si la hauteur sous plafond atteint 3 à 4 mètres.

LE LOFT CAPITAL

La cartographie du loft se confond avec l’ancien tissu industriel. À Paris, le centre (Xe, XIe), le nord et l’est (XVIIIe, XIXe) sont assez bien fournis à l’inverse des arrondissements résidentiels de l’ouest. Pour autant, dans le XVe, l’ancien “bal nègre” de Joséphine Baker vient de tomber entre les mains d’un nouveau propriétaire. Après une année d’attente des diverses autorisations, une réhabilitation ambitieuse a été promise à la salle de spectacles tandis que la partie arrière accueillera quelques lofts. “Il est difficile de trouver un loft dans la capitale intra-muros car les rotations sont faibles”, poursuit Nicolas Libert. Il faut compter dans les 10 000 à 12 000 euros/m2 en moyenne, mais la qualité du quartier, de l’immeuble et du loft lui-même creuse l’écart. L’agence Ateliers Lofts et Associés présente notamment deux biens rares dans de belles architectures industrielles. L’un se situe dans le “bon Montmartre”, près de Lamarck-Caulaincourt (9 000 euros/m2) et l’autre à Montorgueil (10 000 euros/m2). Tous deux sont complètement libres et constitués de grands plateaux vendus nus. Rive Gauche, pratiquement toute la place parisienne des agences immobilières se croise sur un loft d’happy few près de Montparnasse. Dans ce VIe arrondissement, les valeurs grimpent au-dessus de dix millions d’euros.

LE LOFT D’AILLEURS

L’industrieuse périphérie à l’est de Paris constitue l’un des plus riches viviers de lofts. Vitry, Bagnolet, Saint-Ouen, Saint- Denis sont des puits de trésors, souvent aux structures métalliques de type Eiffel. Le renouveau d’urbanisme que portent ces villes reste un atout à envisager. En région, le loft d’architecte très travaillé, “prêt-à-habiter”, ne cote que dans les 900 000 euros avec pourtant le meilleur emplacement qui soit : le coeur de ville. Tel est le cas d’une maison-loft, présentée par Ateliers Lofts et Associés dans le meilleur quartier de Tours. Conçu dans un ancien chai, l’ensemble a été complètement réhabilité. Époque faste pour l’industrie textile et sidérurgique, le XIXe siècle a vu s’édifier des cathédrales industrielles imposantes, spectaculaires, mais rares en France, à part dans le triangle Lille-Roubaix-Tourcoing. Les pays du Nord, plus industrialisés que le sud, ont développé une culture loft significative, mais “Paris” rattrape son retard.

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